mes amis, mes amours, mes emmerdes
crédits : HERSUNSHINE - citation : grey's anatomy..
J’ai une tante, qui, quand elle vous sert quelque chose dit toujours « Tu m’dis stop ». Ma tante dirait « Dites stop », et bien sûr, on ne le fait jamais. On ne dit jamais stop, parce qu’il y a toujours la possibilité d’avoir plus. Plus d’alcool, plus d’amour, plus de tout, plus c’est toujours mieux.
« Es-tu avec Gabrielle ? » demandai-je avec l'insolence du jeune âge. Il s'amusait avec mes doigts, les prenant un par un dans les siens, les caressant, les tournant dans tous les sens. « Je suis avec Gabrielle. » Il roula sur le côté, dans une position fœtale et me faisant face. Il arborait un sourire mutin et absolument arrogant. « Et je suis avec toi. » Je passai mon doigt sur son visage enfantin. Ses trains étaient fins, bien dessinés. Sa peau était douce. Quelques mèches cuivrées retombaient sur son front. Je l'aimais. « La belle affaire ! » Je roulai les yeux. J'étais la vilaine de l'histoire. Celle qui séduisait l'homme d'une autre. Ma cousine, qui plus est. Ma Gabby. « Et pourquoi pas ? » répliqua-t-il l'air hautain. J'avais beau venir de Winstone Land, mes parents m'avaient éduquée comme il faut. Rêves d'avenir, études sérieuses, futur métier prestigieux, famille épanouie, couple amoureux. À deux, pas à trois. Tout se construit à deux, toujours. Un homme et une femme. Un pénis et un vagin. Un Papa et une Maman. « Il y en aura forcément une des deux qui souffrira. » Pas moi, je l'espérais. Non que je veuille le malheur de Gabby. Gabby, c'était une perle. Mais quand même. Il me sourit d'un air provocateur et mit fin à toute mon argumentation avec un baiser. Je me rendrais compte plus tard que je m'étais trompée. Nous souffririons toutes les deux.
On était anticonformistes. Et on se traînait dans Winstone Land sans avoir besoin de se cacher. Main dans la main. Quelques fois, je tenais la main de Gabby d'un côté, celle de Ron de l'autre. D'autres fois, je tenais juste la main de Ron, qui tenait la main de Gabby de l'autre côté. D'autres fois encore, on se tenait tous les trois par la main et tout était parfait. On courait dans les rues. On riait aux éclats. On écoutait de la musique très fort. On ne disait rien, être ensemble nous suffisait. On était dans notre monde, tous les trois. Un monde où on ne grandissait pas. Un monde où les autres n'existaient pas. Insensibles au reste du monde, on refusait de grandir. Et surtout, on refusait d'être séparés. On vivait dans le déni, aussi. On faisait comme si on ne savait pas que Ron devrait choisir entre nous deux, à un moment où à un autre. Comme si cet état d'euphorie ne nous quitterait plus jamais. Naïves désillusions.
« Je ne te comprends pas. » Mon frère. Jared. Esprit trop conformiste. Trop étriqué. Trop loin de nous. On passait tellement de temps ensemble que je disais « nous » à la place de « moi ». Personne d'autre que nous ne pouvait comprendre, je l'avais réalisé il y a longtemps. « Je sais. » Jared, cinq ans de plus que moi. Chimiste. Marié. Futur père. Évidemment qu'il ne comprenait pas. « Mais tu l'aimes. » C'était presque un reproche. Je n'arrivais même pas à savoir qui il désignait. Gabby ou Ron. Alors je lui répondis : « Je les aime. » Pure vérité. J'aimais Ron comme jamais je n'avais aimé quelqu'un. Quand à Gabby, je l'admirais et la chérissais de tout mon être. Et ils me le rendaient si bien. « Si tu t'entendais ! » Il me jugeait. Mais c'était mon frère et je l'aimais aussi, même s'il était exclu du cercle, alors je lui pardonnais. « Un jour tu vas coucher avec elle et tu trouveras ça normal. » Anormal pour lui. Malsain même. Je haussai les épaules. Il était incrédule. « J'y ai déjà pensé, en fait. » Touché. Il plongea dans son café, n'ajouta aucun commentaire. Il n'en pensait pas moins. Moi, je m'adonnais corps et âme à Ron. Mon âme sœur. Ma raison de vivre. Parfois, je rêvais secrètement que Gabby pète un câble, qu'elle décide de nous quitter, qu'elle étouffe dans notre sphère privée et confinée et s'en aille, tout simplement. Je regrettais généralement vite ces pensées. Et de temps en temps, depuis peu, je m'imaginais au contraire que c'était Ron qui nous quittait, qui nous abandonnait lâchement. Et alors je me retrouvais seule avec Gabby. Et on s'aimait. Dans tous les sens du terme. C'était magnifique, romantique, parfait. Malsain et inimaginable. Impossible d'imaginer la vie sans Ron. Gabby et Kessy sans Ron, c'était impossible. Même s'il m'arrivait d'en rêver. Cauchemar. Rêve. Peut-être un rêve prémonitoire.
Je quittai la chambre précipitamment. Tout sauf cette maison. Tout sauf ces deux amoureux-là. L'amour physique, on ne le faisait qu'à deux. Seule chose qu'on ne partageait pas entièrement, même si on était au-delà de toutes les limites de l'intimité. C'était juste à deux. Ron et moi. Ron et Gabby. Je l'aime tellement ma Gabby que je ne pense pas à eux deux seuls sans moi pour ne pas avoir à la détester. En ce moment, eux deux. J'en avais des frissons. De temps en temps, j'étouffe, je m'échappe à notre bulle. Jared. Les parents. D'autres amis. Des hommes pour le sexe. J'ai besoin de respirer et ils m'apportent ce bol d'air. Mais je reviens toujours. Gabby, Ron, vous m'avez rendus accroc. Je ne vous quitte que pour mieux vous retrouvez. Pauvre folle. Je vous aime tant.
Elle avait à peine mis un pied dans la salle que je me lançais. « Je t'aime. » Elle était la plus belle chose que j'avais jamais vue, ma Gabby. Et j'avais envie de la chérir d'une nouvelle façon. Il y avait parfois Gabby et Ron. D'autres, Kessy et Ron. Maintenant, il pourrait y avoir Gabby et Kessy. J'étais excitée à l'idée de sa réponse. Son visage triste et ses yeux mouillés de larmes se tournèrent vers moi. BANG. « Il est mort. » BANG BANG BANG.
J'avais toujours cru que ça durerait toujours. Que le bonheur ne nous quitterait pas. Peu importe la morale. Les regards. L'inceste qui pouvait pointer le bout de son nez. L'enfer. On vomissait leurs règles idiotes et insensées, barrières au bonheur. On avait pas pensé à l'éventualité que ça se termine. Surtout de façon aussi tragique. Et quand vous gardez l'esprit enfantin, quand vous vous refusez à l'âge adulte, la peine et la tristesse sont d'autant plus grandes. Ça non plus on n'y avait pas pensé. Maintenant, je suis quoi ? J'ai tout lâché pour ça, pour nous. J'ai quitté la maison pour qu'on puisse vivre tous les trois dans cet maison absolument ridicule. J'ai arrêté les études et je bosse comme une caissière minable pour un cinéma minable. Je me sens seule sans toi, Ron. Je t'en voudrais si je ne t'aimais pas autant. Gabby, elle est comme moi. On en voulait plus, toujours plus. On était ivres de notre bonheur, insouciants et heureux. Et c'est fini. Reste Gabby et moi. Heureusement qu'elle est là. Je l'aime tant, elle aussi. Qu'elle ne me quitte jamais. Je t'en voudrais énormément si je ne t'aimais pas autant, Ron. Sans toi, on est deux idiotes abandonnées qui doivent réapprendre à vivre. Si tu savais comme c'est difficile. Mais tu es parti. Lâche.
Il y a long à dire sur l’histoire du verre à moitié plein, sur le fait de savoir quand dire « stop ». Je crois que c’est une ligne assez flou, une sorte de baromètre des besoins et des envies. Ça dépend entièrement de chaque individu, et ça dépend de ce qu’il y a dans le verre. Parfois on veut juste une petite gorgée, d’autres fois on en a jamais assez. Le verre n’a pas de fond, et on en veut toujours plus...