Chaque famille a ses secrets,
mais il est préférable de bien réfléchir avant de les déterrer.

MARY-ALICE YOUNG, Desperate Housewives.

Sahana était une Singh de Mumbai. Elle appartenait ainsi à une puissante famille de politiciens et pouvait se vanter d'être fille unique et ainsi, seule héritière de son père, Dhairya. L'adolescence ne lui réussit pas : après une dispute avec Dhairya, ce dernier l'envoya alors à Chandigarh chez une vieille amie, Ayati Jain. Ayati était l'épouse d'un grand homme également, qui évoluait dans le monde de la politique. Ils avaient un fils, Jaidev. Les deux jeunes gens furent donc élevés ensemble et se découvrirent des points communs : la quête de la liberté et l'envie de ne pas suivre les désirs de leurs parents. Ayati éduqua Sahana comme si cette dernière était sa propre fille. Après non, elle n'avait qu'un fils et avait toujours rêvé d'avoir une fille. De nombreuses fausses couches firent que Jaidev fut son seul enfant. L'histoire de Sahana et Jaidev prit une autre tournure lorsqu'ils s'éprirent l'un de l'autre et qu'ils réclamèrent un mariage. Ayati était contre et les supplia presque d'abandonner leurs projets, les larmes aux yeux. Son fils la menaça alors de rompre les liens familiaux. Elle paniqua et accepta la requête. Ils se marièrent un an après, après des négociations douteuses avec les parents de Sahana. Ils eurent un magnifique mariage et des noces paradisiaques. Sahana ne tarda pas à mettre au monde son premier enfant : une fille, qu'elle prénomma Arya.

Ainsi débuta l'histoire d'Arya Jain-Singh.

JAIDEV - Maintenant, Arya sait même lire l'anglais !
DHAIRYA - Ah oui ? En hésitant ou couramment ?
JAIDEV - Hum... je dirais couramment alors !
SAHANA - Il ne nous croit pas, Jaidev. Arya, va donc nous lire ce livre de Tolkien que je t'ai acheté devant tes grands-parents !

Jaidev et Sahana étaient très fiers de leurs enfants, Arya, Chandra, Hajit et Lohendra. Et en cette soirée, qui était d'ailleurs le jour du neuvième anniversaire de leur fille aînée, les Jain fêtaient également la réconciliation sincère entre leur belle-fille et les parents de cette dernière, Dhairya et Sumitra. L'ambiance était festive et on se réjouissait de cette réunion familiale. Pourtant, même ce genre d'évènement ne pouvait pas faire taire Jaidev qui adorait vanter les savoirs et autres qualités diverses de chacun de ses enfants. C'était la journée d'Arya. Celle-ci était une fillette cultivée, qui adorait lire et chercher à connaître et prononcer les plus belles phrases du monde. Arya était pleine de rêves. A son âge, elle rêvait de voyager et de connaître l'univers occidental, elle qui n'était jamais sortie de l'Inde. Sa mère lui disait qu'elle était encore trop jeune. Elle était adorable et aimait se lier aux autres enfants.
Le 20 mars 1991, son père lui demanda de lire en public. C'était une des choses qu'elle détestait le plus. Elle bégayait chaque fois qu'elle lisait devant autrui. Elle hésita avant de le faire, partagée entre la honte et la volonté de rendre fiers ses grands-parents, qu'elle rencontrait pour la première fois depuis qu'elle était née. Dix minutes plus tard, sa lecture - catastrophique, au passage - fut interrompue non par Dhairya, contrairement à ce que vous auriez pu croire, mais par Hiresh, l'époux d'Ayati.

HIRESH - Tu te vantes trop, Jaidev.

D'un air détaché, il fixa Arya d'un air méprisant et lui lâcha à la figure un "Tu ne sais même pas lire anglais correctement, petite." Pourtant, elle ne répondit pas à la remarque. Que pouvait-elle répondre ? Les compliments pleuvaient sans cesse sur le haut de son crâne, la pauvre. On ne lui avait jamais fait une reproche. Voilà que son grand-père paternel lui disait qu'elle ne savait pas lire ! Ce ne fut pas un affront pour elle, mais plutôt une honte. Pour Jaidev, au contraire, ce fut un affront. On n'interrompait pas sa fille de cette façon.

JAIDEV - Pourquoi es-tu si désagréable avec elle et le reste de tes petits-enfants ? Toi qui vis avec nous depuis des années, ne me dis pas que tu ignores qu'elle a des difficultés pour lire en public.
HIRESH - Je l'ignorais, je suis un vieillard et je passe mes journées à me reposer.
JAIDEV - Alors tu aurais dû te reposer toute une journée entière aujourd'hui, cela aurait évité que tu sois malpoli envers ta petite-fille.
HIRESH - Demandons à Madame Singh si elle trouve qu'Arya a bien lu.

Il se tourna vers la calme Kashvi Singh, attendant un avis. Elle le regardait d'un air interdit et semblait réfléchir à la réponse qu'il fallait donner. Tous savaient qu'Arya avaient bégayé bien plus d'une fois, la lectrice elle-même y comprise. Et tous attendaient d'entendre la réponse de Kashvi. Les vieux Singh étaient venus pour revoir leur fille et leur beau-fils, ainsi que rencontrer leurs petits-enfants. Non pas pour se quereller.

KASHVI - Ma petite-fille a lu correctement, Hiresh.
HIRESH - Oui, la votre, très chère. Pas la mienne.